Et cette fébrilité, là… Cet état de manque permanent, ce trou au côté, ces téléphones que vous rongez sans cesse, ces écrans qu’il vous faut toujours déverrouiller, ces vies que vous achetez pour pouvoir continuer à jouer, cette blessure, cette bonde, ces serrements dans votre poche? Cette façon que vous avez, tous, toujours, de tout le temps de toujours vérifier si on ne vous a pas laissé un mot, un message, un signe, une relance, une notification, une pub, un… Un n'importe quoi.
Et ce “on” qui peut être n'importe qui ou n'importe quoi aussi du moment que ça s'adresse à vous, que ça vous rassure, que ça vous rappelle que vous êtes vivant, que vous existez, que vous comptez et qu’à défaut de vous connaître autrement on peut peut-être essayer de vous refourguer une dernière petite saloperie au passage.
Tous ces abîmes, tous ces vertiges, toutes ces lignes de codes que vous caressez dans le métro et qui vous jettent comme une vieille merde sitôt que “ça” ne vous capte plus. Toutes ces distractions qui vous distraient de vous-même, qui vous on fait perdre l'habitude de penser à vous, de rêver à vous, de papoter avec la base, d'apprendre à vous connaître ou à vous reconnaître, de regarder les autres, de sourire aux inconnus, de mater, de flirter, d'emballer, de baiser même! Mais qui vous donnent l'illusion d’en être et d'embrasser le monde entier…
Tous ces sentiments codés, toutes ces amitiés qui tiennent à un fil, qu’il faut recharger tous les soirs et dont il ne resterait rien si les plombs sautaient, c'est pas du fantasme, ça, peut-être?
— Anna Gavalda, Des vies en mieux